JO 2016 : Le dernier rugissement du tigre de Penang ?

Publiée par simon_badmania le mardi 9 août 2016 à 17:49
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Crédit photo : Yonex International

Plus que tout autre événement sportif au monde, les Jeux Olympiques riment avec l'excellence et le prestige. Quinze jours suspendus dans le temps, durant lesquels la planète tout entière a les yeux rivés sur des athlètes venant de tous les pays, et qui se mettra à rêver d'exploits et de records. Pour Lee Chong Wei, cette compétition devrait surtout représenter son ultime quête d'or, point d'orgue d'une carrière aussi brillante que frustrante pour l'un des plus grands génies que la discipline n'ait jamais connue.

Attentes éternelles et constante déception

À 33 ans, le Datuk (titre honorifique malaisien) va entamer ses quatrièmes Olympiades. Dans le pavillon 4 de Riocentro, le numéro 1 mondial abordera une nouvelle fois le tournoi dans le costume de grand favori, à la faveur d'une année 2016 en boulet de canon. Mais mieux que quiconque, il sait que ce statut d'homme à abattre est plus une pression supplémentaire qu'un avantage.

Et à cette pression s'ajoute le poids du passé. Cette constante défaillance mentale dont Lee Chong Wei s'est rendu coupable dans les moments cruciaux lors de ses différentes conquêtes du Graal, sans laquelle il aurait pu passer du statut de génie à véritable dieu vivant.

En 2008, et pour sa première finale, il implose face à un Lin Dan intouchable à domicile, porté par un public de Pékin totalement acquis à sa cause. Quatre ans plus tard, alors que sa main mise semble absolue sur la scène internationale, il est victime d'une rupture d'un tendon du pied droit lors de la Thomas Cup 2012 face à Peter Gade, ce qui remet en cause sa participation à Londres. Il parvient à revenir in extremis, mais craque de nouveau en finale au bout du suspense face à sa bête noire.

Déjà élevé à un rang d'icône dans l'une des grandes nations du badminton qu'est la Malaisie, il doit cependant accepter les attentes de tout un peuple qui n'a jamais connu l'or. Car plus que tout autre raison, la carrière du malaisien a été rythmée par cette envie et ce besoin insatiable d'offrir à sa nation une couronne, qu'elle soit mondiale ou olympique. Les épaules de Lee Chong Wei seront-elles assez fortes pour surmonter tout cela ? Personne à l'heure d'aujourd'hui ne connaît la réponse à cette question. Cependant, les motifs d'espoir demeurent nombreux.

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Crédit photo : Badmania.fr

Jamais deux sans trois ?

Même si elle reste très friable lorsqu'il faut faire preuve d'un mental d'acier, la légende malaisienne demeure toujours une formidable machine à gagner. Le temps continue de filer, mais semble glisser sur lui, tant son formidable palmarès continue de s'étoffer à une vitesse impressionnante année après année, bien qu'il soit toujours vierge de grand titre.

Quel que soit le sport, tous les analystes s'accordent à dire que les statistiques ne mentent jamais. Et à ce sujet, le récent nouveau n°1 au ranking BWF peut laisser stoïque n'importe quel observateur. Depuis 10 ans, Lee Chong Wei a pris part à 131 compétitions individuelles, et a engrangé 60 titres. Soit un peu moins d'un titre sur deux (46%). Alors oui, aucune médaille d'or mondiale ou olympique ne pèse dans la balance, et pourtant aucun autre joueur du circuit ne possède un meilleur ratio. Comme si le tigre de Penang était condamné à rester un roi sans couronne à vie.

Cette tendance qui semble se répéter de manière inéluctable se confirme t-elle pour autant dans les chiffres ? Pour le savoir, penchons-nous plus en détails sur le graphique ci-dessus. Avec 4 tournois remportés pendant les 6 premiers mois de l'année, le Datuk abordera avec une sérénité tout particulière la compétition qui débutera ce jeudi 11 août à Rio. En comparaison avec ses autres années olympiques, le Malaisien a déjà engrangé plus de titres qu'en 2008 (3), et a déjà atteint son total de 2012 (5).

Plus que toute autre rencontre, un match symbolise la prise de pouvoir de Lee Chong Wei sur la planète badminton. Et quel plus bel écrin que la Barclaycard Arena de Birmingham pour cela ? Avec une victoire déclic contre Lin Dan en finale du All England 2011, il met fin à une série de défaites contre son éternel rival. Plus qu'un soulagement, c'est un véritable passage dans une nouvelle dimension. Depuis, il n'a jamais été aussi dominateur sur le circuit, avec un style de jeu aussi agréable pour les yeux qu'empoisonnant pour ses adversaires. Résultat : 23 victoires sur 47 possibles entre 2011 et 2014.

Malgré huit mois de suspension suite au tremblement de terre causé par l'affaire dexaméthasone, la star asiatique a su trouver les ressources pour revenir encore plus fort sur les courts mi-2015 au travers d'un come-back tonitruant, qui l'a vu monter sur la plus haute marche du podium à 5 reprises. Lee Chong Wei s'est même payé l'audace de battre à la suite ses deux bêtes noires, Lin Dan et Chen Long, sur leurs terres à l'Open de Chine en fin d'année après deux matchs marathons. Faut-il y voir un simple coup d'éclat ou un réel symbole ?

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Crédit photo : Yonex International

2016 : de l'ombre à la lumière

Néanmoins, le début de saison de l'icône de Penang n'a pas été tout rose, loin de là. L'inquiétude était même de rigueur dans le camp malaisien. Les raisons de ces préoccupations ? Pour commencer, une première défaite au 1er tour du All England 2016. Lee Chong Wei affectionne particulièrement l'étape britannique, et le désarroi présent dans ses yeux suite à ce revers inattendu contre l'indien Sai Praneeth (24-22, 22-20) en dit long à ce moment précis.

On apprendra peu de temps après qu'il était visiblement malade. Un simple jour sans donc. Mais une nouvelle déconvenue au deuxième tour de l'Open d'Inde face à Wei Nan vient à son tour assombrir sa préparation aux Jeux Olympiques, durant laquelle engranger de la confiance est primordiale.

Le temps de la remise en question passée, arrive l'Open de Malaisie. Un tournoi que Lee Chong Wei n'imagine pas perdre, tant il est à la fois attendu et dominateur sur ses terres. Malgré un tableau compliqué et des conditions de jeu difficiles à maitrîser, il l'emporte brillamment en exécutant Chen Long en finale (21-13, 21-8). Mais le meilleur était encore à venir. Lors des championnats d'Asie qui se déroulaient en Chine à Wuhan, il humilie Lin Dan en demi-finale (22-20, 15-21, 21-4), puis écarte de nouveau Chen Long en finale (21-17, 15-21, 21-13).

Le nouveau champion d'Asie (pour la deuxième fois de sa carrière) confirme sa grande forme du moment en remportant l'Open d'Indonésie malgré un match accroché contre Jan O Jorgensen pour le titre. Au moment de faire le bilan, le malaisien peut se satisfaire d'avoir accompli 3 mois stratosphériques qui l'ont vu remporter 3 titres importants, et de la plus belle des manières possibles.

Mais justifier l'embellie de ces derniers mois uniquement par un niveau de jeu retrouvé serait un peu simpliste. Son leadership retrouvé sur la scène internationale est le résultat de plusieurs facteurs. À mesure que les douloureuses expériences lors de grandes échéances s'accumulaient année après année, Lee Chong Wei a appris à se reconstruire, sans forcer les choses.

Père de deux petits garçons, Kingston et Terrance, le Datuk jouit d'une grande stabilité familiale avec l'ex-joueuse Wong Mew Choo, avec laquelle il est marié depuis 2012. Véritable icône dans un pays acquis à sa cause, très en vue dans les médias et occupant une place prépondérante dans la communication de grandes marques comme Samsung en Malaisie, il possède aussi (et surtout) un entourage taillé sur mesure pour répondre à ses moindres attentes, notamment au niveau du coaching auquel il accorde une importance toute particulière.

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Crédit photo : Badmania.fr

Hendrawan et Tey Seu Bock : les deux piliers

Difficile de ne pas associer Lee Chong Wei à son mythique coach Misbun Sidek. Lorsque ce dernier quitte le giron de la fédération malaisienne fin 2010, il laisse ainsi son meilleur disciple orphelin après de nombreuses années au sommet.

C'est le moment choisi par l'encadrement de la BAM (Badminton Association of Malaysia) pour envoyer Tey Seu Bock et Rashid Sidek (le frère de Misbun) au chevet de la star. Bien que ce dernier ait depuis quitté lui aussi les grandes instances du coaching national, l'autre est resté.

Puis vient l'arrivée de Morten Frost, qui révolutionne le jeu du Datuk conjointement avec Hendrawan, ancien grand joueur indonésien, dans le but de l’assister dans sa conquête d'or. Bien que les relations soient quelque peu tendues avec le danois pour une raison qui demeure floue à l'heure actuelle, Lee Chong Wei semble s'émanciper et a explicitement demandé aux dirigeants de la BAM que Hendrawan et Tey Seu Bock l'accompagnent au Brésil.

Si leurs présences ne font aucun doute, ce choix de l’institution est d'autant plus logique qu'il est difficile, la BAM ne pouvant octroyer que seulement quatre cartes d'accréditation pour les entraîneurs et le personnel d'encadrement.

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Crédit photo : Badmania.fr

Un avantage psychologique à confirmer

Le premier motif d'espoir, et pas des moindres, pour les fans du "Tigre de Penang" est bel et bien la maestria dont il fait preuve depuis près d'un an contre les hommes de la CBA. N'en déplaise à Li Yongbo, la muraille de Chine n'est plus inaccessible à Lee Chong Wei. Chose extraordinairement inhabituelle, il est invaincu face à Lin Dan depuis l'Open du Japon, soit près d'un an d’invincibilité contre le génie de la province de Fujian.

Cette tendance se confirme également au niveau des confrontations avec Chen Long. Le Datuk a semble t-il trouvé les solutions contre le jeu quasi robotique et la défense de fer du colosse de la CBA. Cela se constate dans le bilan de leurs affrontements, qui grâce à ses quatre victoires d'affilée pendant l'année écoulée, est repassé en sa faveur (13 V - 12 D).

Au delà de ses éternelles bêtes noires, la star malaisienne possède une main mise totale sur tous ses autres rivaux. Que ce soit Jan O Jorgensen, Viktor Axelsen ou encore Chou Tien Chen, aucun n'a été en mesure de l'inquiéter réellement sur les deux dernières années. Lee Chong Wei le sait, ses performances passées ne lui confèrent aucune certitude pour Rio, mais cette confiance accumulée à l'aube d'une grande échéance est inédite pour lui.

Une dernière quête pour l'éternité

Soyons francs. Fan du joueur ou non, nous aimerions tous dans une certaine mesure voir Lee Chong Wei monter sur la plus haute marche du podium à Rio le samedi 20 Août. Il s'agirait là d'une juste récompense, un soulagement pour les milliers de fans d'un des meilleurs joueurs de tous les temps.

Il pourrait ainsi éclabousser le pavillon 4 du Riocentro de son sourire qui le caractérise mais qu'il n'a que si peu arboré en d'autres occasions, et ainsi remplacer ses larmes passées par une joie incommensurable, comme pour expulser les démons qui le hantent depuis toutes ces années.

Lee Chong Wei ne peut terminer son illustre carrière qu'avec un Graal Olympique. Sans cela, il ne restera pas dans les mémoires pour avoir révolutionné le jeu, mais pour être un éternel second. Son histoire rimera alors avec échec et éternel gâchis, malgré une élégance et une fluidité uniques, et un nombre de titres record. Un paradoxe qui ressemblerait à du jamais vu dans l'histoire du sport.

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  • Luciole
    Le 09/08/2016 à 18h16 (0)
    Tout ca pour faire une Djokovic jeudi :D
  • Rivet
    Le 09/08/2016 à 18h50 (0)
    Rupture du tendon face a Gade ? Il me semble que c'était juste une entorse. Et si rupture il y a eu je pense plus a un ligament vu sa récupération hâtive. :)
  • Ivan Cappelli
    Le 09/08/2016 à 21h42 (0)
    Rivet : il s'était bien rompu un des tendons sur le dessus du pied, mais c'était une petite articulation et il avait pu se remettre juste à temps ;) Le suivi médical du Malaisien avait fait alors l'objet d'une véritable obsession médiatique dans son pays.
  • Rivet
    Le 09/08/2016 à 22h49 (0)
    On en apprend tout le temps :D
  • FransV
    Le 09/08/2016 à 22h52 (0)
    Superbe article, merci.

    Attention à Chen Long, si LCW est devant lui (confrontation direct) pour la fin de la saison 2015 et la moitié de 2016, c'est surtout grâce à la méforme de CL.
    CL à perdu de son offensive et avait une défense beaucoup mois perméable que sur la saison 2014 et 1er moitié 2015.

    CL qui ramait récemment, même contre des joueurs au delà du top 20 !!

    Pour Lin Dan, c'est l'inconnue totale !!
    Après il est à coup sur pour ses jeux, ultra sérieux.
    Il est le seul grand favori avoir fait le test event de Rio.
  • Keris
    Le 09/08/2016 à 22h56 (0)
    magnifique article ! (attention pas mal de fautes dans le dernier paragraphe )
  • Ivan Cappelli
    Le 10/08/2016 à 8h03 (0)
    C'est corrigé Keris, merci :)
  • Las du volant
    Le 10/08/2016 à 10h44 (0)
    Très bel article :bj:

    J'espère vraiment que cette fois il va gagner, qu'on le voit enfin repartir avec le sourire plutôt que tête baissée !
  • Sebikun
    Le 10/08/2016 à 11h11 (0)
    Article très intéressant. Bravo pour les statistiques. Dans la partie concernant les entraîneurs, "disciple" et non pas "discipline".
  • simon_badmania
    Le 10/08/2016 à 11h21 (0)
    Merci pour vos encouragements :)

    C'est corrigé Sebikun ;)
  • Marcolinho
    Le 10/08/2016 à 11h23 (0)
    Super l'article ! Complètement en phase pour la quête de l'éternité :)
  • ATH-YF
    Le 10/08/2016 à 17h34 (0)
    S'il n'est pas confronté aux problèmes sanitaires exposé dernièrement à Rio ça devrait sérieusement aller pour lui.
  • drmath
    Le 11/08/2016 à 22h41 (0)
    Bravo pour la rédaction!